Voix d'Afrique N°66


"Dieu est Amour"
(Calligraphie arabe)
Le lendemain de son ordination à Alger, Monseigneur Claude Rault a rejoint son diocèse : le Sahara.
Créé au milieu du siècle dernier, il avait alors pour centre l'oasis de Laghouat.
Aujourd'hui, c'est à Ghardaïa que réside l'évêque.
Voix d'Afrique se devait de l'y accompagner.

 

Aux portes du désert

Ghardaïa vu de la terrasse de l'évêché.Il suffit d'une heure et demi de vol : on laisse la "grande bleue", on escalade les montagnes de l'Atlas algérien pour atterrir dans les dunes du désert. Du bleu profond de la mer on passe au sable blond sous l'azur impeccable du ciel. C'est Ghardaïa, à la porte du Sahara. La ville de sable et d'argile est fille du désert ; ses terrasses se touchent et s'imbriquent les unes dans les au-tres comme les pièces d'un puzzle . Ici et là, quelques palmiers dattiers, touffes brandies haut dans le ciel. Quelques minarets surgissent au dessus des maisons, dans le style typique du Mzab, larges à la base, plus étroits en s'élevant comme un élan de prière. Les dunes et les collines arides ondulent doucement à perte de vue. Les habitants sont les Mzabites, habitants des dunes, musulmans sincères et rigoureux.

Un diocèse grand comme quatre fois la France

Ghardaïa, c'est un groupe d'oasis, une agglomération de quelque 100 000 habitants ; c'est le centre du diocèse le plus vaste du monde, le Sahara, grand comme quatre fois la France. A flanc de colline, derrière des murs couleur d'argile, la résidence de l'évêque et de ses compagnons ne se distingue guère des autres maisons. Un cloître et quelques arcades bordent un petit jardin ombragé ; les murs de la maison sont très épais, une terrasse tient lieu de toiture ; un clocheton surmonté d'une simple croix blanche est le seul signe de la présence chrétienne. Cinq fois par jour, les appels tout proches des muezzins résonnent en cacophonie jusqu'à l'ombre des faux poivriers et dans la fraîcheur des maisons. "Allah akhbar ! Dieu est grand !" se répondent les croyants, d'un minaret à l'autre.

C'est le monde musulman : dès le lever du soleil jusqu'à la nuit tombante, de ville en village, la profession de foi est lancée, pour franchir mers et montagnes, de Rabat à Djakarta, en Indonésie, en passant par le Caire, Damas, Téhéran et Kaboul : "Dieu est grand !" La profession de foi parcourt tous les horizons.

Une des salles de la résidence est marquée par une porte ornée d'écritures arabes ; les sièges de bois et quelques tapis de prière entourent un tabernacle de cuivre conique de style local : une humble lampe en forme de navette indique la Présence. Une humble présence du pain rompu, du Corps sans cesse offert pour le salut du monde. " Dieu est grand ! " - " Christ est venu, il est né, il a souffert, il est mort, il est vivant ! "

L'humble cathédrale

Alors que le soleil d'hiver se couche derrière les dunes, ce soir du 19 décembre, l'animation est celle des grands jours. Claude Rault, qui vient d'être ordonné évêque (voir article précédent) est reçu dans son diocèse. Religieux et religieuses, missionnaires et laïcs, chrétiens et musulmans, européens et algériens en turban blanc se sont donné rendez-vous.


Célébration dans la cathédrale de Ghardaïa
De gauche à droite: Mgr Teissier, arvhevêque d'Alger, Mgr Claude Rault,
Mgr Georger, évêque d'Oran et le Père Larburu

La cathédrale ? Ce sera la salle de conférence attenante à l'évêché, à côté de la bibliothèque et de quelques salles de réunion ; les gradins en pente sont remplis, une centaine de places, face à une plateforme étroite, une table couverte d'une simple nappe, quelques chaises de plastique, dont une ornée d'une tenture orientale : c'est la cathédrale d'un soir. La pauvreté à l'état pur !

 

 

Le nonce apostolique lit la "Bulle", décret signé par le Pape qui envoie Claude comme évêque au Sahara. Monseigneur Henri Teissier, archevêque d'Alger, et Monseigneur A. Georger, évêque d'Oran, sont là, pour manifester la communion de toute l'Eglise avec le petit troupeau du Sahara. La liturgie, les chants et les prières, sont en français et en arabe.

" Ne crains pas ! "

Mgr Claude Rault avec deux amis MzabitesClaude semble maintenant habitué à la mitre et à la crosse qu'il a reçues avant-hier à Alger. Pour son premier message, le passage d'évangile qu'il propose est celui de l'annonce à Joseph (Matthieu 1 :18-24). "Joseph, ne crains pas de prendre chez toi Marie." Claude fait sienne cette invitation.
"Lorsque j'ai senti poindre en moi "l'hypothèse" de me voir confiée la charge de ce diocèse, c'est vrai que j'ai eu peur… peur de ne pas être à la hauteur… Je voulais me dérober. Et peu à peu, un ajustement s'est fait… Mais au prix de quelle lutte ! celle de Jacob aux prises avec son Dieu : 'je ne te lâcherai pas jusqu'à ce que tu m'aies béni !' et finalement Il a gagné, laissant sur le carreau un homme blessé, mais béni… Le Saint Père m'a invité à prendre chez moi le diocèse de Laghouat (Ghardaïa) .… L'anneau m'a été mis au doigt, comme pour une alliance, et c'est dans cet esprit que j'accueille ce diocèse… Emmanuel, "Dieu est avec nous" : il ne s'agit pas de le brandir comme un étendard, de l'imposer par la force de notre raisonnement, de le crier sur les terrasses de nos maisons, mais de l'accueillir d'abord… Nous ne sommes pas les propriétaires de ce "Dieu avec nous", de cet Emmanuel. Nous n'en sommes que les témoins. Nous ne le possédons pas : nous le montrons, comme des ostensoirs vivants. Nous le reconnaissons comme venant au devant de nous. Il prend le visage de l'inconnu, du faible, du pauvre, du cœur humble, de l'émigré, de l'emprisonné… Nous avons une part à prendre dans le salut de cette humanité qui nous est confiée. Nous sommes aussi nus et démunis que l'enfant de Bethléem. Mais c'est sans doute cela qui fait notre force. "

Les défis

Il continue :
"Des défis nous sont donnés : défi de la rencontre et du dialogue… N'ayons pas peur de rendre compte de notre foi, dans le souci de partager le meilleur de ce qui nous habite. Nos frères et sœurs de l'Islam attendent aussi cela de nous. Dieu en fera ce que bon lui semble.

"Défi de la pauvreté : nous sommes dans une région qui contient pratiquement toute la richesse du pays. Et nous sommes sollicités pour collaborer à l'amélioration du sort et de l'avenir des démunis, notamment parmi les femmes, les mal scolarisés, les handicapés, les émigrés. La pauvreté de nos propres moyens nous incite à donner plus de nous-mêmes dans la qualité de nos relations. Jésus n'a pas guéri tous les malades, mais il s'est donné lui-même à tous… le don de soi prend alors une dimension eucharistique : "Faites ceci en mémoire de moi." Et nous devenons ce que nous célébrons.

" Défi de la dignité et du prix inestimable de toute personne, quelle qu'elle soit… Si nous faisons le bien, c'est parce que nous croyons en la dignité de toute personne, riche ou pauvre, laide ou belle, musulmane ou chrétienne, croyante ou agnostique... La reconnaissance de cette dignité nous amène à œuvrer pour la justice et la paix. "

Le cimetière chrétien de Ghardaïa où repose Mgr Michel Gagnon

Le sel de la terre

La nuit est tombée sur Ghardaïa ; on passe à côté, dans les salles de classe, pour partager le repas fraternel. Les plats sont simples et copieux. Il n'y a pas eu de "plan de table" prévu : l'archevêque côtoie un musulman, quelques sœurs partagent avec des amies mzabites, des groupes se forment spontanément autour du cous-cous. La rencontre est fraternelle et joyeuse. On rappelle des souvenirs, on évoque des connaissances mutuelles ; les appels et les rires résonnent encore pour quelque temps sous le grand ciel étoilé du Sahara.

Claude Rault a déjà préparé sa petite valise. Demain, il part pour Ouargla, Touggourt, et d'autre visites à des centaines de kilomètres. Michel Gagnon, le prédécesseur de Claude, rapidement emporté par une attaque cardiaque il y a quelques mois, aimait dire : "Mon trône épiscopal, c'est le siège de ma Peugeot 307 ! "
Un ancêtre mzabite le salue : "Allah est avec vous ! "

Oui, Il est avec toi, et sa parole résonne toujours : "Le sel de la terre, c'est vous !". C'est la petite pincée de sel qui pénètre la terre doucement, patiemment, et donne au désert un goût d'éternité.

Gérard Guirauden
Missionnaire d'Afrique

 

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