Voix d'Afrique N°106.


Une Afrique qui souffre et se lève



Les communications sociales pour une citoyenneté mondiale


Comprendre les mutations culturelles dans le monde :
La mission a toujours été conditionnée par le contexte de l’annonce et du dialogue.
Réflexions pour la mission aujourd’hui.

Crise
de la civilisation occidentale

Le modèle économique et financier capitaliste occidental (néolibéral) continue à dominer le monde via la mondialisation. Tous les pays émergents sont entrés dans le système et ont appris à en tirer profit. Ils sont de plus en plus concurrentiels. Pourtant, la civilisation occidentale est en crise profonde. Pensons à tous les “-ismes” bien connus : matérialisme, individualisme, relativisme, etc. On constate que la sécularisation tend vers un sécularisme qui semble vouloir exclure Dieu et faire de la liberté et du profit maximum ses idoles. C’est une forme de toute-puissance, d’où une crise du sens de la vie et de la transcendance qui mène à une crise politique généralisée : sur quelles valeurs construire un projet commun (national ou local) ?

Les démocraties occidentales sont aussi en difficulté, confrontées aux extrémismes montants. Les slogans, lors des élections, vont toujours dans le même sens : « On ne touchera pas à votre niveau de vie ni à vos privilèges. » Comme s’il était encore possible de continuer à vivre au-dessus de ses moyens en Europe et en Amérique du Nord.

Les Occidentaux ont trouvé normal que, durant des décennies, 10 à 20 % de la population mondiale exploitent 80 % des ressour-ces de la planète (avec les conséquences connues en termes de justice sociale et d’écologie). Les grands perdants dans cette redistribution des cartes sont les pays pauvres ou en voie de développement, particulièrement en Afrique. Celle-ci est pillée pour ses matières premières et ses terres, mais ses citoyens n’ont pas le droit de venir en Occident.
Ce tableau sombre ne doit pas faire oublier tous les signes de réaction positive provenant de la base, souvent de la société civile, à travers de nombreux réseaux de dénonciation, d’action et d’entraide.

Mondialisation, technologie et accélération

Une des caractéristiques de notre temps est l’accélération à tous les niveaux. Tout va plus vite : les trains, les avions, l’internet, le rythme de vie et la production de biens, ainsi que les conditions de travail. Tout cela peut être déshumanisant et laisse peu de place à l’intériorité. Cela ne gomme pas les nombreux bienfaits venant des nouvelles technologies et de la mondialisation.
La solidarité et la mobilisation peuvent se faire planétaires avec les moyens actuels de communication, ils permettent aussi de mesurer la complexité des problèmes du monde. Les communications sociales (migration, voyage, téléphone, internet) offrent des moyens de construire une citoyenneté mondiale et d’entretenir des relations à l’échelle de la planète.


Une Afrique spoliée de ses richesses !

Cependant, en Afrique, seule une petite minorité y a accès et ceux qui les utilisent ne se méfient pas toujours de leurs effets pervers. Il y aussi la découverte de la diversité des religions et des cultures comme une invitation à vivre la différence comme une richesse, une complémentarité, et non comme une menace. L’avenir est au métissage et non à l’affrontement d’identités meurtrières (Amin Maalouf).

L’Église catholique

Par sa catholicité et son expansion dans le monde entier, l’Église a d’une certaine façon, anticipé ces mutations. Elle pourrait donc être le lieu privilégié d’une mondialisation alternative respectueuse de l’homme et ouverte à Dieu. Les communautés multiculturelles devraient être des laboratoires de cette “autre” mondialisation en devenant de plus en plus interculturelles.

C’est un aspect important de l’annonce de la Bonne Nouvelle et du dialogue. Par ailleurs, le dialogue interreligieux et interculturel fait partie des alternatives offertes par l’Église à une globalisation tentée par les fanatismes. Cependant, il semble que l’Église, comme institution centralisée à Rome, a du mal à réaliser que désormais la plus grande partie des catholiques habite l’hémisphère Sud. En effet, les postes clés de la curie restent aux mains d’Européens.

Le fait que l’Église fasse les frais de la sécularisation la rend très préoccupée du rejet du christianisme – et avant tout de l’institution ecclésiale – dans les cultures contemporaines et les médias occidentaux. Elle est mise au défi de sauvegarder les valeurs chrétiennes pour mieux résister contre la déshumanisation matérialiste. À ce propos, elle se trouve au coude à coude avec les autres religions et certains humanismes.

Le nouveau projet pastoral de Rome, la “nouvelle évangélisation”, cherche à se définir. En tout cas, il ne s’agit pas de reconquête ni d’essayer d’imposer la loi chrétienne aux États contemporains. Il s’agit d’aimer le monde et de dialoguer avec ces cultures d’aujourd’hui, sans les condamner a priori. À côté de certaines crispations de l’institution, l’engagement des laïcs dans les communautés de base est signe d’espérance pour l’avenir, au Nord comme au Sud. Ces dernières représentent un réel atout pour l’évangélisation dans la mesure où elles ne restent pas centrées sur leur propre projet d’expansion ou tentées par le repli fondamentaliste.


Les frontières sont abolies !

On ne peut reprendre ici toutes les conclusions du dernier synode pour l’Afrique. Notons que ce continent reste marginalisé par rapport aux grands flux financiers, et est spolié dans ses richesses naturelles. L’Afrique est aussi exposée à la montée de l’islamisme et à la diffusion anarchique de sectes et de nouveaux mouvements religieux. Elle est l’épicentre de la violence aujourd’hui (Grands Lacs, au Darfour, Mali, Centre-Afrique et ailleurs) et la réconciliation est un des plus grands défis, sachant qu’il n’y a pas de paix sans justice.

Pourtant, l’Afrique représente un potentiel culturel et humain encore trop ignoré et inexploité au niveau mondial. Sur le plan économique, elle a beaucoup de mal à rejoindre l’accélération contemporaine, elle risque d’y perdre ses valeurs de convivialité, de relation, d’ouverture à la transcendance. Comment entrer dans le concert de la mondialisation sans s’y faire absorber et être réduit à être un réservoir de ressources exploitées sans respect pour les droits humains.

Pourtant, on y trouve de plus en plus de jeunes diplômés capables qui veulent prendre des responsabilités. Malgré des élections souvent truquées, il existe tout un mouvement démocratique en Afrique, menacé cependant par les atteintes aux droits humains, surtout vis-à-vis de la presse o u des oppositions. On perçoit aussi un fossé grandissant entre les riches et les pauvres. Une petite minorité contrôle la quasi-totalité des biens de leur pays sans aucun souci des masses pauvres et laborieuses, vivant au-dessous du minimum vital.

Les Églises d’Afrique

Les synodes continentaux aident les évêques à réfléchir à des politiques communes. Certes la doctrine sociale de l’Église est peu connue des chrétiens. Mais le travail des groupes Justice et Paix, les prises de position des épiscopats, leur rôle dans des démarches de médiation et de réconciliation sont réels. C’est sur le clergé sur le terrain et surtout sur les laïcs que repose l’avenir de l’Église d’Afrique. Leur investissement dans l’éducation, dans la formation doctrinale, sociale et politique, leurs engagements dans les communautés, la place prépondérante des femmes dans cet essor laissent augurer d’une vie ecclésiale de plus en plus mature et responsable. Cela représente aussi un défi pour le clergé quant à son rapport au pouvoir et à l’argent.

Bernard Ugeux
M. Afr.


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