Missionnaires d'Afrique

François Richard M.Afr
Archiviste Rome

150 ANS
6500 MISSIONNAIRES

Père Scherrer Joseph
(1897-1983)

Le 22 octobre 1976, l’Osservatore Romano du Vatican publiait le texte d’une émission de Radio Mali. Quel évènement important méritait un tel battage médiatique ? Pour la première fois au Mali on célébrait un jubilé d’or sacerdotal ! Mais surtout, il s’agissait du jubilé d’un apôtre qui avait marqué l’histoire de l’Eglise du Mali, et même du Burkina.

C’est en effet 50 ans plus tôt que Joseph Scherrer avait été ordonné prêtre et qu’il était arrivé à Mandiakuy, fondé 3 ans plus tôt. En fait, c’est en bicyclette qu’il y était arrivé, après avoir emprunté successivement le bateau jusqu’à Dakar, le train jusqu’à Kulikoro, où il avait embarqué sur un remorqueur qui remontait le Niger jusqu’à Segou, puis de nouveau un petit train et enfin une pirogue qui après trois jours de navigation sur le Bani le déposait à San. Il ne lui restait plus qu’à monter sur un camion pour arriver à Dowo, où il enfourcha une bicyclette pour enfin arriver frais et dispos dans sa nouvelle mission. Il se met aussitôt à l’étude de la langue boré. A l’époque il n’y avait pas de cours de langue, et le jeune missionnaire dut composer lui-même un lexique et une grammaire. Il y réussit fort bien, et il fut même le premier à découvrir et codifier l’existence de tons.


La vieille église de Mandyakuy

Cette étude de la langue n’était pas pure curiosité ethnolinguistique, elle était destinée à mieux servir la mission. Plein d’ardeur et de vigueur, le jeune missionnaire se rappelait les paroles du fondateur qui répétait que “le zèle est le caractère propre et distinctif du missionnaire”. Et 57 ans plus tard, lors de son décès, les vieux chrétiens de Mandiakuy aimeront se rappeler de son ardeur apostolique en disant qu’“il ne pensait pas à autre chose qu’à son travail d’apôtre”. Ce travail, ils le décriront alors avec plusieurs mots : unité, liberté, purification des coutumes, et surtout, charité.

En premier lieu, ils soulignent comment la prière leur a permis de les réunir : “D’abord Il nous a enseigné la récitation du chapelet ; ainés, jeunes garçons, jeunes filles, nous disions le chapelet chaque jour avec lui : il nous a aidés à avoir une plus grand union entre nous. Il nous apprenait à nous réunir ensemble bien que nous étions de quartiers différents. Et nous étions très unis.”


La nouvelle église de Mandyakuy

Son influence ne se limitait pas à la récitation du chapelet. Il avait un grand souci de les voir prendre leur vie en mains : “Il cherchait tout ce qui pouvait nous aider à être libres.” A ce moment le mariage était forcé…. “La femme n’avait pas de bouche, elle n’avait rien à dire. Le Père nous a expliqué que le mariage devait être libre : si tu avais l’âge de te marier, tu devais choisir l’autre avec ta propre volonté… Et cela se fit peu à peu dans les familles chrétiennes.”

En 1933 il y eut une grande famine, et donc beaucoup de pauvreté. Certains homme se sont alors mis à vendre leur femme ou leurs enfants pour se procurer de quoi payer l’impôt exigé par l’administration. Le Père a alors simulé l’achat : il remettait l’argent au père de famille et inscrivait les noms dans son registre : puis il le laissait repartir avec sa progéniture, avec la recommandation de ne pas les revendre ailleurs.

Quand des coutumes lui semblait inhumaines, il en discutait avec les vieux. Par exemple un esclave capturé à la guerre était enterré nu et sans rien laisser à sa femme et ses enfants, son propriétaire héritant de tout. Le Père fit son possible pour adoucir puis pour faire supprimer cette coutume. “Il a beaucoup aidé à faire changer le coutumes mauvaises”.

N’oubliant pas la devise du Cardinal Lavigerie, il avait fait de la charité le moteur de sa présence et de son action : “Il avait un cœur plein de bonté et de miséricorde, en particulier pour les enfants, les aidant à se vêtir quand il faisait froid, les faisant jouer au ballon, leur apprenant à lire et écrire dans notre langue. Il organisait des battues pour avoir de la viande de chasse….”

Cette vie missionnaire au ras du sol, il allait devoir l’abandonner à regret, d’abord pour assurer la responsabilité du Vicariat de Bobo-Dioulasso entre le départ de Mgr Groshenry et la nomination du Mgr Dupont. Tâche qui ne lui convenait pas, car il n’était pas à l’aise dans l’administration. En outre, il était également nommé Supérieur régional pour toute l’Afrique de l’Ouest, un territoire qui, d’est en ouest, allait de Kayes à Koupela (1500 kms), et, du nord au sud, de Gao à Nandom (1200 kms).

Pendant 15 ans le P. Scherrer a mis le même zèle et la même charité au service de ses confrères, visitant sans cesse toutes les missions. Ses tournées à bicyclette, faisant suivre avec lui sa machine à écrire et son équipement sont restées proverbiales. Il lui fallait une bonne santé et beaucoup de courage, ce dont il ne manquait pas : on raconte que lorsque la selle de son vélo rendit l’âme, il la remplaça par une selle en bois ! Exigeant avec lui-même, il tendait aussi à l’être avec ses confrères. On a pu écrire que “infatigable, il devenait parfois fatiguant pour ceux dont il s’efforçait de secouer la torpeur !” Ce qui ne l’empêchait pas de faire l’impossible pour améliorer les conditions de vie des communautés et pour se faire pardonner ses brusqueries, par exemple en apportant une bonne bouteille pour améliorer l’ordinaire lors de ses visites. On a noté que vers la fin de son mandat de Régional il s’était un peu tassé et que la même énergie se dépensait de façon plus calme et plus réfléchie.

En 1954 c’est avec joie qu’il quitte la tâche de Régional, d’abord pour animer l’école de catéchistes de Nouna pendant deux ans, puis pour rejoindre son cher Mandiakuy où il va passer la plupart des années qui lui restent. Il reprend le rythme normal de la vie missionnaire, avec ses tournées, ses séances de catéchismes, ses liturgies, ses visites aux malades, et surtout ses longues heures passées au confessionnal où son ministère est très apprécié.

De plus, il donne beaucoup de temps à l’accompagnement spirituel individuel. Il y excelle, alors qu’il redoute l’animation de groupes ; on le dit mauvais orateur et pauvre prédicateur. Malgré de nombreuses demandes, de toute sa vie il n’a prêché qu’une seule retraite. Et encore fut-elle spéciale : les retraitants étaient assis sur des chaises, faisant face au prédicateur qui, lui, donnait les quatre instructions quotidiennes à genoux derrière son bureau !

Après le chapitre de 1967, il eut de la peine à accepter les changements, qui, selon lui, entrainaient un refroidissement de l’ardeur apostolique, comme il l’écrivait en 1972 dans une lettre au Supérieur général : “On dirait que bien des jeunes confrères incitent , par leur exemple à laisser tomber bien des coutumes auxquelles nos gens étaient habitués, récitation de l’angélus, du chapelet etc. Par contre sous prétexte d’aller aux gens, ils fréquentent le cabaret et ainsi favorisent ce qui est la plaie du pays.

Pour ce qui est de la vie commune, les changements apportés par le dernier chapitre sont loin d’être une réussite. Les capitulants qui ont pris cette décision ont cru que les confrères étaient des saints alors que nous ne sommes que de pauvres types ! Je crois que le fondateur avait vu plus juste en nous imposant la vie commune et les exercices communs pour venir au secours de ses missionnaires. Depuis le Chapitre, on constate partout un sérieux laisser-aller. Après la récréation du soir, au lieu de pratiquer ce qu’on appelait « le grand silence » si précieux pour notre vie spirituelle, ce sont trop souvent des parlotes qui n’en finissent pas, et le lendemain matin chacun se lève quand bon lui semble….” Mais cela ne l’empêcha pas, lui, de rester fidèle au modèle qu’il avait reçu au noviciat et qu’il avait suivi si longtemps.

Il finira sa vie à Tassy, où il courrait encore dans les couloirs, son chapelet en main, jusqu’au moment où il fut terrassé par une hémiplégie qui le força à rester alité pendant les derniers mois de sa vie. Mais cela ne l’empêcha pas d’exercer son “zèle plus qu’ordinaire” en consacrant de longues heures à prier son chapelet pour la mission de Mandiakuy, et à entretenir une correspondance fournie avec ses nombreux dirigés.

François Richard , Archiviste

 


Missionaries of Africa

François Richard M.Afr
Archivist Rome

150 YEARS
6500 MISSIONARIES


Father Scherrer Joseph
(1897-1983)


On the 22nd October 1976, the daily newspaper of the Vatican, Osservatore Romano, printed the text of a broadcast from Radio Mali. What important event merited such media interest? For the first time in Mali, the Golden Jubilee of a priest was celebrated! Much more than that, it was the Golden Jubilee of an apostle who had made a deep impression on the Malian church and even Burkina Faso

In fact, 50 years earlier, Joseph Scherrer had been ordained priest. He had arrived at Mandiakuy, which had been founded three years earlier, on a bicycle. He had taken the boat to Dakar, the train to Kulikoro, and then a tugboat up the Niger until he reached Segou. From there, he took another small train and a canoe for a voyage up the river Bani until he arrived at San after a journey of three days. All that was left now was to hitch a ride on a lorry to get to Dowo where he got on a bike to arrive fresh and ready to start his new mission. He got down straightaway to learn the local language, Boré. At that time, there were no language courses and the young missionary had to compose his own dictionary and grammar. He was, in fact, the first person to discover and codify the tonal sounds of the language.


The old Church of Mandyakuy

This study of the language was not simply satisfying some ethno linguistic curiosity. It was aimed at better serving the mission. Full of fervour and energy, the young missionary remembered the words of the Founder, “Zeal is the proper and distinctive characteristic of a missionary.” 57 years later when he died, the old Christians of Mandiakuy liked to reminisce about his apostolic dedication saying, “he did not think of anything else except his work as an apostle.” They described this work in many words such as unity, liberty, purification of customs and above all charity.

The old Christians emphasised how prayer allowed them to gather together, “First of all, he taught us how to say the rosary. The adults and children said the rosary with him every day. He helped us to build up unity between us. He trained us to meet together even though we came from different districts. We were very united.”


The new Church of Mandyakuy

However, Fr. Joseph’s influence was not limited to saying the rosary. He was very anxious to see them take responsibility for themselves. The people said, “He did everything he could to help us become free. At that time, forced marriages were the norm. The women had no say in the matter. The Father explained that marriage ought to be free. If you were of marriageable age, you had the right to choose another with your own free will. That is what happened in Christian families little by little.”

There was a big famine in 1933 and as a consequence a lot of poverty. Some men began to sell their wives and children in order to pay taxes imposed by the administration. The Father pretended to buy them by giving money to the father of the family and writing their names in his register. Then he would send the man on his way with his offspring with the admonition that he was not to sell them somewhere else.

When customs seemed inhuman, he discussed it with the elders. For example, a slave, captured in war, was buried naked and could not leave anything to his wife and children. His owner got everything. Fr. Joseph did everything to get this custom softened and eventually suppressed. “He helped a lot to change the bad customs.”

Fr. Scherrer never forgot the motto of Cardinal Lavigerie. He made charity the engine of his presence and activities.The people said, “He had a good and merciful heart, particularly towards children. He got clothes for them when it was cold, taught them to play football and to read and write in their own language. He organised hunts so the people could eat meat.”

This missionary, working at the grassroots, was obliged to leave this work regretfully. First, he had to take the responsibility for the Vicariate of Bobo-Dioulasso in the interim between Bishop Louis Groshenry (+1962) and Bishop André Dupont (+1999). He did not relish this work, as he was never at ease with administrative tasks. Besides all that, he was also appointed as the Regional Superior for all of West Africa. The area covered territory that went for 1,500kms from east to west from Kayes to Koupela and from north to south, from Gao to Nandom, a distance of 1,200 kms. For 15 years, Fr. Scherrer worked with the same zeal and charity in the service of the confreres, continuously visiting all the missions. Making his rounds on a bicycle with his typewriter and his equipment close behind are still the stuff of legend. It needed extraordinary health and a lot of courage and he lacked neither. A story is told that when the saddle of his bike gave up the ghost, he replaced it with a saddle made of wood. He was very demanding on himself and tended to be the same with the confreres.

One could write of him that he was “indefatigable but sometimes he could become fatiguing for the confreres whom he was trying to rouse from their torpor! This did not prevent him from doing the impossible to improve the conditions of life for the communities. He frequently asked forgiveness for his brusqueness and he generally brought a good bottle of something or other to improve the routine when he came visiting. One noted that towards the end of his mandate as Regional, he seemed more relaxed and the same energy was now expended in a more calm and reflective way.

It was with great joy that he left the post of Regional in 1954. He went to Nouna to direct the Catechist’s school for two years. Then he returned to his beloved Mandiakuy where he was to pass most of the years that remained to him. He returned to the normal rhythm of missionary life, with its safaris, catechetical session, liturgies, visiting the sick and especially long hours hearing confessions where his ministry was particularly appreciated. Moreover, he spent a lot of time giving individual spiritual direction where he excelled. In fact, he dreaded addressing groups and he was not a great orator and a poor homilist. Despite many requests, he only preached one single retreat and even that was special, as the retreatants were seated on their chairs facing the preacher who gave the four daily instructions behind his desk but on his knees.

After the 1967 Chapter, he found it very difficult to accept the changes it brought. According to him, they would bring about a cooling of apostolic fervour. He wrote to the Superior General in 1972 as follows, “On would say that many of the young confreres provoke by their example of letting drop many of the customs to which our people are accustomed, such as reciting the angelus and the rosary. On the contrary, on the pretext of going to the people, they frequent the bars and, as such, encourage what is curse of the country. As for community life, the changes brought about by the last chapter are very far from being successful.

The capitulants who took this decision believed that the confreres were saints whereas we are just ordinary guys! I believe that the founder saw things clearly, when he imposed community life, and the common exercises on us as an assistance to his missionaries. Since the Chapter, one notices everywhere a serious laxity regarding our customs. After evening recreation rather than observing what was called the “grand silence” which is so precious for our spiritual life, the chat often continues until a late hour and the following morning each one gets up when it suits him...” Not all this prevented him from remaining faithful to the model that he had received in the novitiate and to which he remained faithful for such a long time.

He finished his life in Tassy, France. He stalked up and down the corridor, rosary in hand, until he was laid low by a paralysis affecting half his body. He was bedridden for the last months of his life. Even that did not prevent from exercising extraordinary zeal for the mission, passing long hours reciting the rosary for the Mandiakuy mission and keeping up correspondence with his many spiritual friends.

François Richard, Archivist