Voix d'Afrique N°109.

L'Eglise catholique en Ouganda
et les Pères Blancs.



Vitrail dans notre chapelle à Kampala représentant
l’arrivée du P. Lourdel et du Fr. Amans en Ouganda


Des débuts houleux pour l'Église

Aujourd’hui, en 2015, l'Église catholique en Ouganda a 136 ans ! Sa fondation remonte, en particulier dans la partie centrale et occidentale du pays, à l’arrivée des Missionnaires d'Afrique en 1879.

Mais notons qu'avant les missionnaires catholiques, des missionnaires protestants étaient déjà là, arrivés deux ans auparavant en 1877. Les commerçants-missionnaires-musulmans eux, venus de la côte à partir de Zanzibar, étaient arrivés en 1844. Surprise cependant, c'est la benjamine de ces trois confessions qui a attiré le plus d'adeptes à ce jour.

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Le P. Lourdel, le roi Mutesa, le Fr. Amans / 1ère Caravane pour l’Ouganda et le Tanganyika

L'histoire de cette Église n’a pas été sans heurts. C’est ce que nous lisons souvent dans les journaux et correspondances des missionnaires qui font référence à des textes d'Évangile comparant l'Église à un bateau sur une mer agitée ! Il y avait les rivalités avec les adeptes de la religion traditionnelle, avec les anglicans et les musulmans. Malheureusement, ces rivalités et cette compétition finissaient en conflits armés : d’abord les chrétiens (catholiques et anglicans) avec les musulmans con-
tre les adeptes de la religion traditionnelle en 1888, conflit terminée avec la déchéance du Roi Mwanga remplacé par Kiweewa pour moins de trois mois ; puis ce furent les catholiques et les anglicans contre les musulmans (1888-89), ce qui conduisit à l'expulsion des missionnaires tant catholiques que protestants qui se réfugièrent au Tanganyika. Puis, il y eut un troisième conflit armé, cette fois-là entre les catholiques et les protestants (1892).

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Représentation de l’arrivée des 1ers Pères Blancs / Jeunes d’une chorale en Ouganda

Toutes ces guerres ont laissé derrière elles des plaies sociales et spirituelles qui n’ont jamais vraiment guéri. La religion est devenue un facteur économique et politique qui continue encore aujourd’hui d'influencer, consciemment ou inconsciemment, les comportements des adeptes de ces différentes communautés de foi.

Trois Instituts missionnaires classiques sont les fondateurs spirituels de cette Église. Dans les régions centrale et occidentale, ce sont les Missionnaires d'Afrique, plus connus dans ce pays comme « Pères Blancs ».

Dans la région orientale, ce sont les missionnaires de Mill Hill, invités par les pères blancs à venir en Ouganda en 1895 pour montrer au peuple de ce pays que d'être catholique ou anglican n’était d’aucune manière lié à une nationalité. On appelait alors les catholiques « français » (Abafalansa) et les anglicans
« anglais » (Abangereza).

Dans le Nord, les pères fondateurs ont été les Missionnaires Comboniens, également connus sous le nom de Pères de Vérone, nom qui fait référence à l'endroit en Italie où ils ont été fondés. Ils arrivèrent du Sud-Soudan en 1910. De ces trois Instituts missionnaires, celui des Missionnaires d'Afrique est le seul qui ait été fondé sur le sol du continent africain, précisément à Alger en Algérie, et spécifiquement destiné à l'évangélisation du continent africain.


1ère tombe du P. Lourdel

Aujourd'hui, ces zones géographiques d'évangélisation attribuées à différentes familles missionnaires n'existent plus. La croissance de l'église locale et le nombre décroissant des membres de ces instituts expliquent en grande partie ce changement. Il y a actuellement dix-neuf diocèses. Les vocations sacerdotales et religieuses sont nombreuses, et les catholiques forment la plus grande communauté de foi dans le pays. Il est même intéressant de noter que ces trois Instituts ont maintenant des projets dans lesquels ils travaillent ensemble.

Il y a ainsi le Centre Jean-Paul II Justice et Paix (JP2JPC) à Kampala, un consortium lancé en 2006 par ces trois instituts avec les Jésuites,
la Congégation de Sainte Croix, qu’ont rejoint plus tard les Sœurs Missionnaires Comboniennes. Ils ont également créé un consortium pour la formation de leurs candidats à Jinja (le Centre de philosophie de Jinja-PC).

L'Association des religieux en Ouganda (ARU), dont ils sont également membres, a un certain nombre d'activités communes dans les domaines de formation initiale et permanente, la promotion de justice et paix, etc.

Ouganda, un sol imprégné du sang des Martyrs

Le sol de ce pays a été imprégné du « sang des Martyrs » catholiques, anglicans et musulmans. Bien sûr, les plus célèbres d'entre eux sont les 22 Martyrs catholiques. On a moins parlé des martyrs anglicans parce que la dévotion aux saints n'est pas spécialement encouragée dans la Church of Uganda. Toutefois, ils ont créé aujourd'hui un site à Nakiyanja où la majorité des martyrs, protestants et catholiques, ont été brûlés vifs le 3 juin 1886.

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Le centre Sharing pour les jeunes / Mgr Henry Ssentongo, évêque de Moroto

Cet endroit appartient aux anglicans. Un grand musée y est en construction. En outre, les musulmans ont récemment montré de l’intérêt pour une commémoration annuelle, le 1er juin, pour leurs martyrs tués par le roi Muteesa en 1877. Ils prévoient d’agrandir leur mosquée-mémorial Masjid An-Nuur, à Namugongo, qui a été inaugurée par Idi Amin Dada.

Les 22 Martyrs catholiques, plus que les autres, ont fait connaître l’Afrique en général et l’Ouganda en particulier au niveau international. Grâce à eux, deux papes ont déjà visité ce pays, le pape Paul VI en 1969 et le pape Jean-Paul II en 1993. Le pape François est venu également visiter l’Ouganda en novembre cette année, à l'occasion du 50ème anniversaire de la canonisation des Martyrs.

Le message de ces papes en référence à ces martyrs a été de relancer les ougandais en général et les catholiques en particulier à suivre courageusement les traces de ces martyrs et à témoigner, dans leur vie quotidienne, des principes de l'Évangile et des valeurs pour lesquelles ces martyrs sont morts, ce qui manque dans notre société.

Et d’abord le renforcement de l'Église locale

Les Pères Blancs ont d’emblée donné la priorité à la construction et au renforcement de l'église locale sur la fondation du clergé local et sur l'institution des catéchistes. Cette orientation a été conforme à l'instruction de leur fondateur leur disant que « les vrais missionnaires de l'Afrique seront les Africains eux-mêmes ». On a créé très tôt des séminaires, et les premiers prêtres ont été ordonnés en 1913, trente quatre ans seulement après l'arrivée des premiers missionnaires. L'institution des catéchistes avait commencé plus tôt, à Bukumbi au Tanganyika qui a été leur premier centre de formation, puis en Ouganda en 1902, à Lubanga d’abord, transféré plus tard à Bikira (Masaka). Il est également intéressant de noter que le charisme et la vocation de la première congrégation religieuse ougandaise, les Bannabikira (Filles de Marie, 1910), est principalement d'être catéchistes et que les congrégations qui sont venues après, aussi bien de femmes que d’hommes, ont toutes mis ce ministère comme faisant partie intégrale de leur vocation.

Ce choix de donner la priorité à la construction de l'église locale, signifie que la Société M.Afr. n’a jamais encouragé un recrutement ougandais jusque dans les années 1970, presque après cent ans d'évangélisation. Et, même ceux qui, après leur ordination, avaient rejoint la Société, sont tous restés travailler en Ouganda, par exemple l’archevêque Kiwanuka, etc. Depuis que la Société encourage le recrutement local, il y a maintenant vingt quatre missionnaires d’Afrique Ougandais et une trentaine d’étudiants sont à différents niveaux de leur programme de formation.

Évangélisation intégrale

Outre leur préoccupation spirituelle et morale, les missionnaires se sont rapidement impliqués dans les secteurs de l'éducation et de la santé. Dans le secteur de l'éducation, c'est encore une fois les Missionnai-
res d'Afrique qui ont invité les « Frères de l'Instruction chrétienne », connus localement comme les frères de Kisubi et en France comme les Frères de Plouermel, à venir en Ouganda créer le collège Sainte-Marie à Kisubi en 1906. Dans le secteur de la santé, les Missionnaires d'Afrique ont eu le bonheur de voir venir la congrégation-sœur des Sœurs Missionnaires de Notre-Dame d'Afrique (Sœurs Blanches), arrivées en Ouganda en 1899 et avec lesquelles des hôpitaux et des écoles pour filles ont été ouverts à différents endroits : Lubaga (1899), Villa Maria (1902), Kisubi (1905), etc. Ces sœurs ont été la première congrégation religieuse de femmes à venir en Ouganda. Elles aussi ont été fondées par le cardinal Lavigerie pour l'évangélisation de l'Afrique.

Missionnaires d'Afrique en Ouganda : passé et présent

Il ne serait pas exagéré de dire que la mission en Ouganda a été l'enfant bien-aimé de
la Société des Missionnaires d'Afrique (pères blancs). C’est ce que révèlent les statistiques des nominations dans ce pays.

Durant les cent premières années (1879-1979), cinq cent soixante-dix missionnaires ont été nommés en Ouganda ! À ce jour, plus de six cents missionnaires ont été envoyés par notre Société pour travailler dans ce pays !
Traditionnellement, comme on l’a vu, les Missionnaires d'Afrique ont travaillé dans les régions centrales et occidentales jusque dans les années 1970. Puis ils sont aussi allés dans la partie orientale, à savoir dans les diocèses de Soroti et de Karamoja. Leur apostolat porte principalement sur la pastorale paroissiale en zones rurales. Dès le début de leur mission évangélisatrice dans ce pays la place des catéchistes, pour les Pères Blancs, a été fondamentale et leur formation reste une priorité.

Actuellement, il y a vingt-sept Missionnaires d'Afrique en activité en Ouganda dans les diocèses de Kampala, Mbarara, Jinja, Soroti et Moroto. Leur engagement pastoral ou leur ministère se situe dans les domaines suivants : animation vocationnelle, formation, retraites, paroisses et aumôneries. L’engagement le plus récent pris par la Société est la responsabilité du Sanctuaire des Martyrs de l’Ouganda de Namugongo.

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Sanctuaire de Namugongo // Chorale en habit tradionnel des Karamojong

Un élan pour la nouvelle évangélisation

Il y a quelques années, lorsque l'archevêque de Kampala, le cardinal Emmanuel Wamala, (aujourd'hui émérite), confia à des Missionnaires d'Afrique le travail de créer une nouvelle paroisse à Nabulagala, là où les premiers missionnaires ont commencé leur mission en 1879, il leur dit ceci : " le retour des « fils » du cardinal Lavigerie pour continuer à partager les activités pastorales du clergé diocésain là où Mapeera et le frère Amans ont semé les premiers germes de la foi, est un signe fort dans notre élan pour la nouvelle évangélisation” (2 novembre 2006)

L'Église en Ouganda, comme dans de nombreux autres pays, fait face à un certain nombre de défis pastoraux et spirituels, certains internes et d'autres externes. Ces défis exigent de tous les agents pastoraux, Missionnaires d'Afrique inclus,
« un élan pour la nouvelle évangélisation ». En voilà plusieurs : pluralisme religieux, sécularisme, consumérisme matérialiste, injustice sociale et violence, cléricalisme, régionalisme, tribalisme, sacramentalisme, etc.

Est-ce que la récente visite du pape François en Ouganda a été un moment de grâce pour cette Église en général et pour les Missionnaires d'Afrique en particulier ? Un moment pour nous de faire une réflexion sérieuse sur la manière de s'impliquer dans cet « élan pour une nouvelle évangélisation » nous permettant de faire face à ces défis avec sérénité, courage et sagesse ?

Richard Nnyombi M. Afr


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