Missionnaires d'Afrique

Jean-Claude Ceillier
France

Confénce de Jean-Claude Ceillier pour le 8 décembre à Friant

La Vierge dans la vie et la spiritualité
de Charles Lavigerie notre Fondateur

N ous célébrons aujourd’hui Marie en son Immaculée Conception. Le sujet pour cette causerie s’imposait presque de lui-même, et je vais vous parler des relations entretenues entre Marie et le Cardinal Lavigerie, notre fondateur, le Père Lavigerie, comme l’appelle le Supérieur Général Richard Baawobr ; et rappeler en même temps comment la Sainte Vierge nous a accompagnés, comme familles missionnaires, M.Afr. et S.M.N.D.A., au temps de notre fondation. La prière à Marie a été une tradition très vivante dans nos deux Sociétés, ne faudrait-il citer pour s’en convaincre que le rosaire sur notre habit traditionnel et le chant du Sancta Maria ; et cela peut nous aider de rappeler les origines de cette tradition spirituelle.

1) Une époque très marquée par la piété mariale
Le XIXe siècle a été une époque fortement mariale dans l’Église catholique. Il y a eu à cette époque, on pourrait presque dire en grand nombre, des apparitions et des pèlerinages qui se sont développés, des basiliques et des églises dédiées à Marie, des associations pieuses et des congrégations fondées sous son patronage, comme les Maristes, les Oblats de Marie, etc. Je rappelle simplement ici, et pour ne parler que de la France : 1830, apparitions à Catherine Labouré rue du Bac à Paris ; 1846, apparitions à La Salette ; 1858, apparitions à Lourdes ; 1871, apparitions à Pontmain dans la Mayenne. Enfin il ne faut pas oublier la promulgation du dogme de l’Immaculée Conception de Marie, le 8 décembre 1854.

En ce sens, la piété mariale de Lavigerie n’est pas une particularité due à une sorte de grâce inattendue, mais une grâce vécue dans l’inspiration de l’Église de son temps. C’est d’ailleurs, pour le rappeler en passant, dans le même courant de son époque, qu’il faut mentionner l’attachement de Mgr Lavigerie au Sacré-Cœur, comme en témoigne ce passage des premières Instructions aux Missionnaires d’Afrique Centrale en 1878 :
“J’oserai dire que pour une si grande œuvre il faut soi-même avoir assez de foi surnaturelle pour compter sur l’intervention directe de Dieu et oser lui demander des miracles. De la foi, beaucoup de foi, c’est tout ce qu’il vous faut pour les obtenir (…) Ne manquez pas surtout d’invoquer le secours de la Vierge Immaculée… Priez aussi Saint Joseph, et réfugiez-vous dans le Cœur Sacré de Notre Seigneur, véritable source de toutes les grâces de conversion et de tous les miracles.” (Instructions, Grands Lacs, texte n° 32)

Cela n’enlève rien à la valeur de la piété mariale de Lavigerie que de rappeler cela, au contraire. On a beaucoup dit qu’il était en bien des domaines un précurseur : il ne faut pas oublier de rappeler aussi qu’il a été un homme de son temps.

2) Mgr Lavigerie et Notre-Dame d’Afrique
En même temps, en ce qui concerne l’attachement à la Sainte Vierge et comme tous les vrais spirituels, Lavigerie a vécu cet amour avec ses accents propres, à lui. On sait que l’attachement à Marie est presque toujours lié plus particulièrement à des lieux qui nous parlent d’elle ; eh bien, le futur cardinal n’a pas dérogé à la règle. Il a eu, lui aussi, ses lieux de rencontres privilégiés avec Marie ; et j’en évoquerai trois : Notre Dame d’Afrique à Alger, Notre-Dame de la Garde à Marseille, et, dans un contexte différent, le sanctuaire de sainte Anne à Jérusalem. Parlons tout d’abord de N.D. d’Afrique

L’histoire de la Basilique de Notre-Dame d’Afrique, à Alger, est assez bien connue chez les Missionnaires d’Afrique et chez les Sœurs Missionnaires de Notre Dame d’Afrique, avec en particulier la statue de la Vierge Noire qui y est vénérée. On se rappelle que c’est le premier évêque d’Alger après la conquête du pays par la France, Mgr Dupuch, qui fait venir de France une statue de la Vierge et la place sur la terrasse de son évêché. C’est ensuite Mgr Pavy qui, peu après la définition du dogme de l’Immaculée Conception, construit une petite chapelle pour y placer cette statue et lui donne le titre de N.D. d’Afrique ; puis il fait commencer en même temps la construction d’une grande basilique. Ce sera Mgr Lavigerie qui l’achèvera et la consacrera solennellement, le 2 juillet 1872. La statue de la Vierge Noire n’y fut transférée, en réalité, qu’une année après.

Dès la fondation de la Société les premiers missionnaires ont eu des liens particuliers avec cette Basilique. Les premiers serments missionnaires y ont été prononcés et des ex-voto y rappellent jusqu’à aujourd’hui encore les départs des premières caravanes ou simplement la prière et les événements vécus par nos premiers confrères (on en trouve la liste et le contenu dans la lettre circulaire de Mgr Durrieu n° 1 du 24.03.1954 sur Marie Immaculée, p. 37).

La grande fresque, au fond du chœur de la basilique, où l’on voit Marie en gloire, vénérée par le Cardinal, entourée de pères et de sœurs, exprime clairement le lien entre le passé, et même le lointain passé chrétien de l’Afrique du Nord, et le présent. On y voit en effet saints Cyprien et Augustin, les saintes Perpétue et Félicité, puis le Cardinal, les martyrs de l’Ouganda et le Père Lourdel, Charles de Foucauld et le cardinal Duval. Elle est très bien présentée dans le livret publié en 1989 par le père Laïly. Beaucoup d’entre nous la connaissent ou en ont lu la description, et je m’arrête là.

J’ajoute ici une petite note historique relative au nom de la Société. Son premier nom a été Missionnaires de Notre Dame d’Afrique, puis, après diverses variantes, on a vu finalement disparaître la mention de Notre Dame d’Afrique. Le désir premier de Lavigerie de mentionner Notre Dame d’Afrique dans notre nom est indéniable, mais il y a renoncé : pourquoi, alors qu’il l’a maintenu pour les sœurs ? On pense qu’il a craint les réactions du clergé du diocèse d’Alger, ou encore qu’il a estimé que cela ressemblerait trop à une congrégation purement locale et diocésaine…Il n’a rien écrit à ce propos (Cf. Circulaire Mgr Durrieu, déjà citée, p. 24). Dans les documents préparatoires au Chapitre Général de 1936 j’ai trouvé aux Archives un feuillet où il était demandé au Chapitre de réintroduire le nom de Notre Dame d’Afrique dans le nom officiel de la Société...

Lavigerie a tenu à N.D. d’Afrique le premier concile provincial d’Afrique pour les temps modernes, en 1873 : on doit le mentionner car c’est dans le cadre de cette assemblée que la Société des M.Afr. reçut sa toute première approbation ecclésiale officielle. L’année suivante s’y ouvrit également le premier Chapitre Général de la Société. En 1876 enfin, le Conseil Général des M.Afr., dans sa réunion du 15 mai, demandait au fondateur d’instituer pour nos deux familles missionnaires la récitation quotidienne de la prière à Notre Dame d’Afrique, version légèrement modifiée d’une prière déjà en usage dans le diocèse d’Alger depuis Mgr Pavy.

Ce qu’il fit comme on le sait. Voici quelques lignes de la lettre circulaire où il approuve cette demande, le 25 décembre de la même année :
“Parmi les obligations de la vie apostolique, il importe de placer, avant tout, celle de la prière. En effet, si c’est le missionnaire qui travaille, c’est Dieu seul, selon la parole de l’Apôtre, qui donne l’accroissement et la bénédiction. Voilà pourquoi Nous avons accueilli avec joie la proposition qui nous a été faite par les membres du Conseil des Missionnaires, d’approuver une prière que tous les Pères et Frères et toutes les Sœurs de la Mission réciteraient, chaque jour, à la fin de leur prière du soir, et qui leur servirait ainsi d’arme commune pour atteindre et fléchir le Cœur de notre Seigneur, en faveur de leur apostolat…” (Lettre circulaire du 25.12.76)

Il faut dire ici que les craintes de Mgr Lavigerie au sujet d’un malaise du clergé algérois, évoquées précédemment, n’étaient pas illusoires. Peu après sa mort Mgr Dusserre fit savoir aux Pères Blancs qu’il souhaitait que le sanctuaire, sa garde, son pèlerinage, etc., que tout cela revienne au diocèse et que l’on cesse de croire que tout cela était propriété de la Société. Mgr Livinhac, alors Supérieur Général, accéda à la requête de l’archevêque, et les Missionnaires d’Afrique ont quitté le sanctuaire en 1897. Il l’annonça à toute la Société par une circulaire spéciale, remarquable d’ailleurs par sa concision et l’absence de toute explication (circulaire du 9 septembre 1897). Les Pères Blancs sont cependant revenus dans ce sanctuaire en 1930, à l’initiative de Mgr Leynaud qui aimait profondément la Société et avait bien connu et aimé également le Cardinal.

Encore un dernier mot sur N.D. d’Afrique. En mai 1950 a été bénie la première pierre de l’actuelle maison généralice à Rome. Or, quelques jours auparavant, Mgr Durrieu, Supérieur Général, à Alger, était monté de Maison-Carrée à Notre Dame d’Afrique et avait prélevé, dans la vieille chapelle primitive, une pierre qu’il a fait insérer dans les fondations, à Rome. Et quatre années plus tard, le 8 décembre 1954, c’est lui qui a béni et installé le tableau de la Vierge Noire qui représente celle d’Alger et que l’on voit toujours dans la chapelle de la maison généralice, à gauche, au niveau de l’autel. Ces dernières années, on sait comment la basilique de ND d’Afrique a été entièrement restaurée, grâce notamment à l’engagement remarquable de notre confrère Bernard Lefebvre pour la réalisation de ce projet.


3) Mgr Lavigerie et N. D. de la Garde
Le second sanctuaire très cher au cœur de Mgr Lavigerie a été celui de Notre Dame de la Garde, à Marseille. Le mentionner prend une valeur particulière. En effet, on peut dire que pour N.D. d’Afrique la piété et les démarches de Mgr Lavigerie avaient un aspect pastoral public, tant le sanctuaire tenait une grande place dans l’archidiocèse d’Alger. Pour N.D. de la Garde, c’est différent : quand Mgr Lavigerie y montait et y priait, c’était une démarche personnelle, liée à un appel intérieur, sans dimension pastorale particulière. On peut noter d’ailleurs qu’une véritable amitié le liait à Mgr Robert, archevêque, et ce dernier, par exemple, lui a demandé de consacrer le nouvel autel érigé dans la basilique, après un incendie.

On est bien renseigné sur ces visites du fondateur à la basilique de Marseille par le témoignage de ses proches et de ses secrétaires, mais aussi par le fait que presque à chaque passage il écrivait un mot sur le registre des pèlerins. On y trouve effectivement une quarantaine d’inscriptions signées de lui. Et l’on sait, de fait, qu’il a traversé de multiples fois la Méditerranée au long de ses 25 années d’épiscopat en Afrique du Nord.

Voici quelques-uns de ces ex-voto : en 1868 il demande à Marie de bénir ses démarches pour sortir de son conflit avec le gouverneur Mac-Mahon ; en 1875 il passe avec trois jeunes catéchumènes kabyles et confie à Marie sa visite avec eux auprès du pape Pie IX ; en 1876 il remercie Marie d’avoir honoré la Société de ses premiers martyrs ; en 1882, il revient de Rome avec le chapeau cardinalice et écrit sur le registre : “Dilectus tuus, O Maria, rubicandus, Carolus, Cardinal Lavigerie ! “. Je terminerai en mentionnant une phrase, écrite en 1885 : “Charles, Cardinal Lavigerie, Archevêque de Carthage et Primat d’Afrique, a recommandé son Afrique à la bonne garde de la Bienheureuse Vierge Marie.” Très souvent, ces petits mots sont familiers, exprimant une confiance et une liberté intérieure profonde vis-à-vis de Marie. Et nous dirons un mot, un peu plus loin, de la place de Marie dans sa foi et sa prière personnelles.

Il serait intéressant de chercher si Mgr Lavigerie est aussi allé prier au grand sanctuaire de Fourvière, à Lyon. On peut le penser sans risque de se tromper, car il est venu assez souvent à Lyon, à cause de la présence, à certaines périodes, d’une maison de formation des Sœurs SMNDA, et plus encore à cause de ses relations étroites avec les Œuvres Pontificales Missionnaires fondées par Pauline Jaricot (1799-1862), œuvres qui aidaient beaucoup les missionnaires financièrement. Mais je n’ai pas eu la possibilité de creuser cette question.

J’ajoute simplement qu’à Fourvière le lieu de culte le plus remarquable n’est pas directement la grande basilique, mais surtout la petite chapelle, très ancienne, qui se trouve juste à côté de la basilique à droite ; on y trouve des ex-voto de plusieurs fondateurs et fondatrices de congrégations, ou encore un ex-voto du passage de Thérèse Martin, la future sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, allant à Rome, etc. C’est donc bien dans cette petite chapelle qu’on peut penser que Lavigerie est allé prier.

Et je voudrais parler maintenant du troisième sanctuaire cher à Lavigerie, et marial lui aussi, sinon dans son nom du moins dans son message, sainte Anne.

4) Mgr Lavigerie et Sainte-Anne de Jérusalem
On sait que la prise en charge de Ste Anne correspondait à un désir profond de Lavigerie de s’implanter au Proche-Orient, et sans doute, au départ, n’était-il pas strictement orienté vers un sanctuaire marial. En même temps, quand Ste Anne lui est finalement proposé, on sent chez lui une réaction de grand bonheur spirituel et le sentiment qu’il s’agit vraiment d’un geste de la Providence pour ses missionnaires et leurs missions. Voici deux passages significatifs tirés de la notice historique que Lavigerie a fait rédiger, en septembre 1878, pour expliquer sa décision. (On notera que le rédacteur se situe en observateur extérieur, comme un journaliste, et qu’il parle de Lavigerie en disant “il” ! ) :

“Le premier motif est que par une faveur inespérée on offrait à sa communauté naissante de desservir le sanctuaire de la Très Sainte Vierge, le plus précieux de l’univers, puisque c’est le lieu même de sa conception immaculée et de sa naissance…”

“Il est persuadé, et il l’a toujours été, qu’il n’a jamais pu faire aucun bien que par l’intercession et la protection spéciale de la Sainte Vierge dont il a souvent ressenti les effets d’une manière extraordinaire. Il croit que les Missionnaires d’Alger ne feront jamais rien que par son secours…”

Du coup, il confie aux missionnaires envoyés dans cette fondation une mission particulière, celle de la prière pour l’Afrique et la mission :
“Les Pères de Sainte-Anne se considéreront donc comme spécialement députés par leur Société, et dans la personne de celle-ci, par la France catholique et par l’Église, pour prier auprès du berceau de Marie, auprès des stigmates sanglants de la Passion de son divin fils, en faveur du monde chrétien et en particulier de la pauvre Afrique. Cette intention ne devra jamais les abandonner : ils la renouvelleront spécialement chaque jour à leur prière du matin et du soir, en y ajoutant, avant de les commencer, l’oraison jaculatoire suivante : Demandons à Marie Immaculée, par les mystères de sa conception et de sa nativité, la grâce de bien remplir le ministère de prière auquel nous avons été députés.”

On sait qu’il se rendit lui-même sur place pour préparer l’arrivée des confrères, et il y resta du début juin à la mi-juillet 1878. En même temps, il rédigea des Instructions, dans lesquelles il indiquait clairement la vocation de prière de la communauté, et cela en citant explicitement le titre de l’Immaculée : c’est un passage de ces Instructions que nous venons de citer. Et, de fait, le 8 décembre qui suivit, donc de cette même année 1878, quelques semaines après l’arrivée des premiers confrères, Lavigerie déclarait officiellement N. D. de l’Immaculée Conception patronne de la Société des Missionnaires d’Alger.

Parler plus en détail de la dévotion du Cardinal au sanctuaire de Ste Anne est difficile ; il en était éloigné et n’a même pas pu y retourner une seule fois, malgré son grand désir. Mais il fallait le mentionner, car c’est à travers ce lieu de prière que la Société a été mise par lui sous la protection de Marie l’Immaculée. Et avec ce troisième sanctuaire on a comme la géographie spirituelle de l’affection de Lavigerie pour la Sainte Vierge, mystérieuse géographie toute centrée sur la mer des rencontres, la Méditerranée, évocation suffisante pour nous faire comprendre la place de Marie dans sa vie. Cet attachement spirituel se confirme encore, si cela était nécessaire, quand on regarde le quotidien du fondateur et la tonalité personnelle de sa prière à Marie

5) Marie dans la vie spirituelle du Cardinal Lavigerie
On a si souvent insisté sur la stature publique de Lavigerie ou sur son caractère d’homme d’action qu’on en arrive parfois à oublier qu’il fut d’abord, et avant tout, un homme de grande foi, et aussi un priant. Dans sa vie spirituelle on a beaucoup de témoignages qui montrent qu’il était un familier de la Sainte Vierge. Il disait très fréquemment son chapelet qu’il avait toujours avec lui, en se promenant, dans sa voiture durant ses déplacements, dans son lit quand il était malade, ce qui a été très fréquent dans les dernières années de sa vie.

Voici des notes rédigées par lui pour une conférence spirituelle lors de la retraite donnée pour les missionnaires au scolasticat de Carthage en 1884 :
“Maria de qua natus est Jesus. Résumé parfait des prérogatives de la Sainte Vierge, puisque sa gloire est d’avoir été la Mère de Dieu. Au dire des saints, et il faut les en croire, Marie n’a pas engendré J.C. seulement lors de l’incarnation, mais c’est elle qui, tous les jours, l’enfante encore dans l’âme des fidèles ; grande vérité dont l’importance est visible pour le missionnaire. Lui aussi est chargé de faire naître le Sauveur dans les âmes… Durant ma vie j’ai eu à me reprocher des misères, mais toujours, je puis me rendre ce témoignage, j’ai été fidèle à tous les engagements de prêtre et d’évêque. C’est à ma dévotion à Marie que j’attribue cette grâce si précieuse. Dans les fréquentes et longues insomnies que me causent tantôt mes infirmités et tantôt les soucis de ma charge, c’est pour moi un repos de penser à Marie ; je repasse dans mon cœur les bienfaits dont je lui suis redevable.” (Instructions aux Missionnaires, Grands Lacs 1950, p. 329).

Ses secrétaires nous disent qu’il avait constamment dans ses poches deux petites statues, une de saint Joseph et une de la Sainte Vierge. Je mentionne ce détail, car il montre comment, derrière la façade assurée et impériale qu’il présentait souvent, se cachaient des attitudes de piété très simple, un peu naïve même, qui nous font pressentir un homme de prière simple et confiante. On peut faire la même remarque par rapport à ses multiples pèlerinages à N.D. de la Garde dont on a parlé : il y est monté parfois en état de grande fatigue ou par un froid glacial, et il n’était pas question d’y renoncer.

Lavigerie a aimé Marie et l’a beaucoup priée, et c’est dans le même mouvement de foi qu’il a engagé les missionnaires sur le même chemin : prier Marie, lui confier l’Afrique et les Africains. Je voudrais citer ici un passage de sa lettre pastorale écrite à l’occasion du couronnement de la statue de la Vierge Noire, en mars 1876:
“Le culte de Marie, c’est le culte de l’espérance, c’est le culte de la miséricorde… Quand donc vous sentez vos cœurs déborder d’amertume, montez à son sanctuaire… Elle accorde toutes les grâces à la foi simple qui l’implore, grâces de préservation, de guérison, de protection, d’abnégation, de travail, de courage. Pour les humbles, pour les petits, pour ceux qui souffrent sans révolte, pour ceux qui croient, ses mains et son cœur sont toujours ouverts.”

J’ai mentionné, au début, la prière à Notre Dame d’Afrique, alors vous pensez peut-être : Tiens, il a oublié de nous parler du Sancta Maria ! Non, et je rappellerai simplement, car vous le savez déjà sans doute, que c’est une prière attribuée à Saint Augustin et qui était alors présente dans le bréviaire au commun des fêtes de la Vierge Marie. Mgr Lavigerie l’a choisie pour nous, mais ce n’est pas lui qui l’a composée, et ce n’est pas une prière propre à nos familles missionnaires, ce qui n’enlève rien à sa valeur.

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Statue de la Vierge que le Cardinal gardait sur son bureau. Attribuée à un esclave espagnol du 16e s.
Chapelet du Cardinal. Remarquez le crâne


Pour terminer je voudrais vous citer un dernier texte, à mon avis tout à fait remarquable. C’est un passage tiré d’un sermon prononcé dans la cathédrale d’Alger, le Vendredi Saint 1889, où Lavigerie veut revenir une fois encore sur le drame de l’esclavagisme. On y découvre une audace dans l’apostrophe à Marie qui témoigne d’une familiarité très profonde, et qui rappelle en même temps les reproches véhéments que certains prophètes osaient adresser à Dieu :
“O Marie, nous vous avons proclamée ici Reine de l’Afrique, il y a de cela vingt-cinq ans, et l’Afrique a compté sur votre protection. Qu’avez-vous fait pour elle ? Et comment souffrez-vous encore de telles horreurs ? N’êtes-vous Reine que pour régner sur des cadavres ? N’êtes-vous Mère que pour oublier vos enfants ? Il faut que cela finisse ! “ (Cité dans une lettre circulaire de Mgr Durrieu, 08.12.54)

Jean-Claude Ceillier,
Rue Friant, 8 décembre 2011