Voix d'Afrique N°76
Histoire..


Deux personnalités missionnaires
Lavigerie, Livinhac : il est difficile d'imaginer des hommes plus différents, au physique du moins. Autant Lavigerie était massif, entreprenant, imaginatif et déterminé, autant Livinhac était d'allure ascétique, mince et discret. Mais si Lavigerie, arrivant à la fin de sa vie, l'avait choisi pour prendre la tête de la Société missionnaire, c'est que, en bon connaisseur d'hommes, il avait discerné chez lui une personnalité profondément spirituelle, dénuée de toute ambition, animée par un seul désir : le Christ et son Royaume parmi les Africains.


A la tête de la première caravane
Lorsque l'archevêque d'Alger l'avait rencontré, le jeune diacre aveyronnais (il a vingt six ans) n'avait pas encore complètement terminé ses études de théologie. Mais qu'importe ! il avait une vie spirituelle très profonde. Il l'ordonne prêtre un an après, avant la fin de son année de noviciat. Il le nomme procureur de la petite société et professeur de théologie pour assurer la formation des premiers candidats à la vie missionnaire. Il a trente deux ans lorsqu'il est choisi pour prendre la tête de la première caravane. Il n'a rien d'un aventurier, encore moins d'un explorateur. C'est pourtant lui qui animera le premier groupe de dix missionnaires qui partiront pour les Grands Lacs d'Afrique Centrale, aux sources du Nil.

" Allez évangéliser toutes les nations "
Quelques années auparavant, Stanley et Livingstone avaient commencé à explorer le pays. C'est à la suite de leurs reportages qu'avait germé le désir d'évangélisation. Des millions d'Africains souffraient, victimes de l'esclavage, de luttes tribales, de maladies ou de famines. C'est toute cette humanité abandonnée que Lavigerie avait en vue lorsqu'il avait accepté d'abandonner le siège épiscopal prometteur de Nancy pour le nouveau diocèse d'Alger, de l'autre côté de la Méditerranée : pour lui Alger était la porte ouvrant sur tout le continent africain. Il avait eu l'audace d'envoyer un appel dans tous les grands séminaires de France pour recruter des volontaires. Livinhac avait été un des premiers à répondre. Le premier noviciat ouvrait en 1868, et la première caravane partait pour l'Afrique Centrale en 1878. (voir le n° 74 de Voix d'Afrique).

Pâques 1878
le Yang-Tsé" 21 Avril 1878, Saint Jour de Pâques. Voici le Jour que le Seigneur a fait, réjouissons-nous et tressaillons d'allégresse."Ainsi commence le journal de voyage. Il continue par le commentaire : " C'est le jour où la Sainte Eglise, figurée par Notre Seigneur Jésus Christ, malgré les persécutions et les triomphes éphémères de ses bourreaux, toujours jeune, toujours vivante et glorieuse, nous envoie, indignes ministres d'une si noble cause, aux nations encore plongées dans les ombres de l'ignorance et de l'erreur, afin qu'elles apprennent à connaître celui qui est la voie, la vérité et la vie. " Le navire Yang Tsé assure la liaison entre la France et l'Extrême Orient. Il s'éloigne de la côte et les missionnaires ont un dernier regard pour Notre Dame de la Garde. Ils ont une dernière pensée pour leurs parents et leurs confrères restés à Alger.

Exclusivement missionnaires
Un prêtre français est avec eux, l'abbé Delaize, qui entreprend de traverser l'Afrique et d'associer le France aux grandes découvertes de Livingstone, Stanley et Cameron. Les relations sont cordiales, mais ils comprennent vite qu'ils doivent garder leurs distances, car il est chargé d'une mission du gouvernement français, à la condition qu'il soit tout à fait seul. " Il est parfaitement équipé : armes, munitions, instruments scientifiques, etc. ; rien ne lui manque.?"

Ainsi, dès le début de l'expédition, les missionnaires comprennent leur vocation, celle que Lavigerie n'avait cessé de leur inculquer : ils ne sont pas des explorateurs, mais des missionnaires, exclusivement missionnaires. " Il ne faut pas, avait dit leur fondateur, que vous soyez des voyageurs vulgaires, mais des hommes de Dieu, des pêcheurs d'hommes ; vous n'êtes prêtres et missionnaires que pour les poursuivre, les recueillir, sur cette mer immense de l'infidélité et de la barbarie, où ils sont comme engloutis et perdus. " Tel était l'esprit qui animait les premiers " Pères Blancs ".

La mentalité chrétienne d'alors était fortement imprégnée de la fameuse maxime " Hors de l'Eglise, point de salut " (voir notre recension du livre du P. Sesboüe, " Hors de l'Eglise point de salut ", dans Voix d'Afrique n° 70, mars 2006.). à la suite du mouvement missionnaire et du Concile Vatican II, un progrès prendra place, qui nous fait considérer la problème du "?salut des infidèles " sous un jour nouveau.

Traversée du canal de Suez, vers Zanzibar
Le 26 Avril, le Yang Tsé arrive à Port Saïd, le lendemain ils entrent dans le Canal de Suez et le 30 Avril ils arrivent à Djeddah. Ils trouvent là un arabe originaire d'Alger qui les reconnaît et se propose de les guider. Enfin, le 5 mai, ils arrivent à Aden. C'est une première escale, car leur navire continue vers l'Asie.

Premiers déboires : la barque qui les emmène avec leurs bagages sur la côte s'égare loin du port vers une plage déserte. " Il fallut toute l'éloquence et le regard terrible du Père Lourdel pour déterminer nos bateliers à reprendre les rames ". Ils peuvent enfin débarquer à Aden où les attend un Père Capucin .

Ce dernier met à la disposition des missionnaires une chapelle et une maison proche du port. "Nous avons un bon soldat irlandais à notre service et un arabe qui nous fait la cuisine tant bien que mal… Chacun mange avec appétit, et la gaieté et l'entrain président à tous nos repas. " Ils mentionnent également : " Un bon nombre de portugais et les soldats de la garnison , presque tous Irlandais, se sont confessés et ont fait la sainte communion dans notre chapelle. "

Enfin, le 5 mai, la bateau anglais de Zanzibar arrive et ils pourront entreprendre la dernière étape de leur voyage. Ils arriveront à Zanzibar le jeudi 30 mai.

Gérard Guirauden.
Rédacteur en chef de " Voix d'Afrique ".

Voir aussi la page archive de Mgr Livinhac


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